quand l'infirmière me dit "je vais vous prendre du sang", je demande toujours si on va me le rendre...

Publié le par El Kim des Plateaux

 

 


 

 

Je viens d'achever la lecture d'une petite anthologie de nouvelles, par Flannery O'Connor, et depuis que j'ai refermé le bouquin et que je l'ai bazardé à travers la pièce, je n'arrive pas à détacher mes yeux du plafond. Attention hein, envoyer voler un livre à travers la chambre, ce n'est pas du mépris : je fais toujours ça avec le sentiment du devoir accompli quand un livre m'a paru bon. Après tout, un bon livre est un livre qui m'a abîmé et j'estime avoir le droit de lui rendre la pareil. On appelle ça l'égalité de traitement.  

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Et tandis que le plafond n'en finit plus de se la jouer plafond, mon esprit se tourne et se retourne, dans la petite cage où je l'enferme, sans parvenir à savoir ce qui le chiffonne. Oui, il y a quelque chose de pas net avec le bouquin que je viens de terminer. 

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Flannery O'Connor fait partie de ces auteurs américains qui ont donné vie au genre South Gothic. Oui, je sais, moi aussi quand j'ai vu son nom sur la couverture, j'ai cru que j'allais avoir à faire à des histoires de Leprochauns sur les bords de la Shannon, mais contre toute attente, Flannery O'Connor n'est pas irlandais. A en croire son état civil, il faut retourner en arrière de presqu'un siècle, quatre année avant le début de la grande crise de 1929, au coeur de l'Etat de Georgie, pour trouver trace de sa naissance. L'écrivain que la postérité retiendra sous le nom de "Flannery O'Connor" naît fille unique du couple O'Connor-Cline, à Savannah. Enfant profondément solitaire et renfermé, Mary F. O'Connor se décrit volontier comme  pourvue par la nature, d'un physique disgracieux et d'un tempéramment sauvage.

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Avec un humour dont on trouve l'écho grinçant dans ses nouvelles, Flannery O'Connor conserve de cette enfance bien rangée, un souvenir unique. Celui d'une gloire éphémère et dérisoire ; celui d'avoir l'infîme honneur, alors qu'elle n'a que six ans, d'hexiber un poulet bien dressé devant la caméra des studios Pathé, filmant un court métrage promotionnel intitulé "Little Mary and her trained chicken". A la question "comment fait-on pour débuter dans la vie quand on a commencé par se ridiculiser devant de millions de spectateurs avec un poulet en laisse ?" Flannery O'Connor ne tarde pas à trouver une réponse aussi brillamment désabusée que le seront ses fictions : "La gloire, je l'ai connue à 6 ans. Tout ce qui vient après ce film n'a été qu'un long déclin". 

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Tristement, O'Connor ne croit pas si bien dire. A peine une décade plus tard, l'adolescente dévastée, se retrouve orpheline de père, après un combat perdu contre une maladie auto-immune chronique. Ne reste alors que sa mère, avec qui elle entretiendra jusqu'à sa mort des rapports affectifs très forts,     empreints d'une dévotion filiale que sa foi catholique - alors qu'elle vit dans la Bible Belt protestante - rendent indéfectibles. 

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O'Connor doit déjà savoir, plus ou moins consciemment qu'elle n'a pas beaucoup de temps où qu'elle ne souhaite pas en perdre. Sa vision de l'existence, extrêmement lucide et clairvoyante sur le comportements humains, en font une comète qui traverse le temps des études à une vitesse record. Cursus accéléré à l'école puis à l'université pour femme de Géorgie, avant d'intégrer en journalisme, le prestigieux programme de Creative Writing dans le cadre de l'Iowa Writers' Workshop.

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Pourtant, ce n'est pas le style de ses articles, notamment ceux qu'elle rédige sur les oiseaux qui la fascinent, mais celui de ses fictions, qui la font remarquer. Le premier à saluer le talent d'écrivain d'O'Connor, est le deuxième directeur du Workshop après son fondateur Wilbur Schamm, Paul Engle, dramaturge, critique littéraire, poète et éditeur. L'entente et le respect mutuel entre eux conduira à une collaboration étroite allant jusqu'à la publication. Dans ce cadre propice à la création littéraire, O'Connor multiplie les rencontres qui élargissent sa vision déjà étonnemment perspicace du genre humain : depuis Robie Macauley, l'éditeur de fictions pour le magazine Playboy (canal par lequel il fit connaître Saul Bellow, Roald Dahl, Vladimir Nabokov et tant d'autres) jusqu'à Andrew Lytle, éditeur du Sewannah Review passé maître dans la reconnaissance des jeunes talents telle la norvégienne Sigrid Undset qu'il avait appuyée jusqu'à sa consécration par le Nobel en 1928.

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O'Connor ne s'est jamais mariée. Le compagnonnage intellectuel des écrivais avec qui elle fraie et l'affection maternelle semblent avoir résolument comblé chez elle, les désirs de reconnaissance affective qui caractérisent les soirées solitaires du genre humain. Suffisamment en tout le cas jusqu'à sa mort, survenue de manière prématurée à l'âge de trente-neuf ans, après un combat similaire contre la même maladie qui avait emporté son géniteur.

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Lorsqu'elle meurt, Flannery O'Connor nous laisse une production littéraire qui n'est pas abondante : deux romans, un recueil de nouvelles et quelques articles. A l'instar de tant de génies américains comme John Cheever ou Raymond Carver, Flannery O'Connor ne se mesure pourtant pas à la somme des pages noircies. Emportés par la maladie de manière prématurée, toutes ces trajectoires, qui se croisent et se percutent dans le cadre de l'Iowa Writers' Workshop, n'ont pas livré à la postérité plus d'une ou deux recueils de nouvelles, quelques romans tout au plus. Carver n'eut même pas le temps de s'adonner à cette forme avant que le cancer l'oblige à cesser d'écrire.

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Peu de traces... mais quelles traces. En me penchant de mon lit et en tendant le bras, j'arrive sans peine à attraper l'exemplaire du recueil de nouvelles que je viens de terminer. A Good Man is Hard to Find and other stories. Un portrait sans pitié du Sud. Ce grand Sud qui est terre de rêveries, de fantasmes et de cauchemars. Ce Grand Sud où l'on trouve le bayou, les alligators, les bateaux à aube fantômes qui ont dérivé de leur cours, les pénitenciers inhumains... Ce Grand Sud où le vaudou exerce une influence, ou le blues eu son berceau et où tant de road trip s'achèvent au milieu du sang et de l'épouvante. Ce Grand Sud des plantations, des champs interminables où se terre le mal, le tueur en série, le monstrueux. 

Et tandis que je songe à ces images d'Oliver Stone, à la petite ville de Superior au Colorado où Sean Penn échoue, à la moto de John Fonda brûlant sur le bas-côté d'une route raciste et conservatrice de la Nouvelle Orléan dans Easy Rider et à la Grand-mère bigote de la nouvelle principale d'O'Connor, je commence doucement à comprendre ce qui me dérange dans ce que je viens de lire. Moi qui ai toujours cherché les monstres, les prisons et les mauvais rêves dans les contrées nordique, je me rends compte de le Sud non plus n'est pas un cadeau. Je réalise que le Nord, le Sud, l'Est ou l'Ouest, ne sont que des mots pour dire un espace dont l'homme est toujours le centre et le repère et qu'il n'y a pas de prédisposition naturelle à voir surgir le mal plus souvent à un endroit qu'à un autre. Le South Gothic, c'est cela. Un formidable rééquilibrage de la balance qui rappelle que Dracula et les monstres ne sont pas nés avec un état civil exclusivement septentrional. Non, l'horreur ou la sauvagerie du Sud sont tout simplement synonymes de réalité, pas plus caricaturale ou grotesque que celle du Nord. Pas plus irréelle ou haute en couleur. Simplement très éloignée des pensées pudibondes de beaucoup de bienpensants dont le fief se situe au nord du Tropique du Cancer.    

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Alors c'est ça... Le Sud aussi ça peut être moche. Vraiment très très moche. vraiment très très réel. 

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Moche d'une réalité que nous peinons aujourd'hui à imaginer. Lourd d'une chape de plomb qui refait soudain surface dans mes souvenirs. A l'époque où je n'étais qu'étudiant à la fac d'histoire de Paris et que je passais mes nuits vautré sur un canapé en lambeau, j'ai le souvenir d'être tombé sur un film de Huston intitulé Le Malin. Je connaissais surtout Huston pour des oeuvres comme le Faucon Maltais ou Key Largo. Des choses clean. Et au milieu d'une nuit sans sommeil, penché sur un verre de vin rouge, j'assiste à la mise à nue d'une quête interminable pour la foi, d'une véritable croisade menée par le héros de l'histoire, Hazel Motes au coeur de la Bible Belt sans pitié et supersticieuse. Je n'ai pas dormi cette nuit-là et même longtemps après, les images d'Hazel Motes en prédicateur sceptique ont hanté ma mémoire....

Jusqu'à ce soir où, dans un geste furieux, je me souviens. Je me souviens que Le Malin d'Huston n'est rien d'autre que l'adaptation cinématographique d'un roman intitulé Wise Blood... par Flannery O'Connor.

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Et là, plus de doute. 

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Le Sud, ce n'est pas que la Floride, les palmiers et Disneyworld... Le Sud ce n'est pas seulement la chaleur du sable et des îles, la sieste et le farniente... Le Sud c'est aussi une brutalité bien réelle mais qui n'a rien de déformé. Un lieu où se concentre autant de folie humaine et d'irrationnelle que dans le Nord. Le Sud, c'est juste un endroit comme les autres, où les gens ne sont pas plus des marionnettes d'un théâtre de guignol que dans le Nord. Le Sud que j'ai vu dans le film d'Huston n'est pas quelque chose dont les traits sont grossis ou exagérés. Le Sud de Huston et celui de Flannery O'Connor s'ancre dans un décors tellement ordinaire qu'on l'imagine facilement être notre paysage quotidien...

 

Voilà... C'est malin. Un recueil de nouvelles et je ne vais pas dormir. Un simple recueil de nouvelle qui déterre en quelques minutes, des souvenirs enfouis depuis plus de 10 ans. Un simple recueil de nouvelles qui n'a même pas réussi à me faire oublier la douleur de cette imbécile d'infirmière, laquelle n'a pas été foutu de trouver ma veine du premier coup et a dû s'y reprendre à 4 fois pour faire ma prise de sang et échantillonner la quantité nécessaire. En regardant le creux de mon bras droit, je me fais l'impression d'être un junkie en réhab' tellement on voit de trous. Moi qui ne supporte pas les piqûres... Depuis que je suis dans cette chambre d'hôpital, j'ai de plus en plus de mal à supporter le renfermé... j'étouffe, je voudrais m'évader vers des horizons loitains et amènes. Oui, je voulais lire un livre sur les grands espaces, sur la liberté, je voulais une fenêtre ouverte sur un monde chaud et plein d'exotisme bienveillant. Manque de bol, le Sud peut être une vraie pute quand il s'y met...

 

J'aurais jamais dû lire ces nouvelles...

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J'aurais jamais dû confier mon bras à cette idiote en blouse blanche...   

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