Fruits conflits

Publié le par El Kim des Plateaux

 

 

Je viens juste de revoir une vidéo des Monty Python qui explore une de leurs thématiques favorites : les fruits frais sont un péril sans nom pour la société. Quand j'y songe, je ne sais pas très bien pourquoi j'ai fait de la consommation des fruits une bannière de ralliement et de vantardise en tête de ce blog. Je devais probablement être encore dans cette veine naïve précédent mon installation au Japon. C'est à cette période que je songe souvent ces derniers temps. 

Il me revient de cette époque, une anecdote survenue à Kyoto. Il me semble que c'est à l'automne 2008 que cela s'est produit. Pour ce qui était la troisième fois en seulement un an et demi, j'avais placé toutes mes économies du moment dans un petit bout de papier avec une en-tête d'Air France et m'annonçant avec un aplomb presque obscène, combien j'étais un acheteur futé d'avoir choisi de m'envoler vers l'Archipel nippon à bord d'une carlingue tricolore. Et me voici entre les deux bouts de l'Archipel, marchant - je devrais dire "errant"- le long des avenues de Kyoto parce qu'une femme s'est volatilisée de ma vie à grand fracas. Une de plus. Sans que j'éprouve l'envie d'en voir débouler 10 autres pour me consoler. Je suppose qu'un sociologue ou un diététicien pourraient fort bien m'expliquer pourquoi, mais sans que j'en comprenne mais, je me suis mis à dévorer tout ce qui passait à portée. Ce jour là, j'ai bien dû m'arrêter dans 15 ou 16 boutiques de type convenience store pour m'acheter des repas sous vide que je m'empressais d'engloutir à peine sorti dans la rue. Ensuite, ce fut le tour des sandwichs et des crêpes - pour mon plus grand malheur, le Kansai a cette spécialité culinaire que l'on appelle okonomiyaki et qui consiste en une préparation de type pancake intégrant de l'oeuf, de la farine, de l'eau et une tripoté d'ingrédients tous plus copieux les uns que les autres, le tout noyé sous une sauce assez proche de la sauce barbecue. Honnêtement, je ne sais pas où a bien pu passer une telle quantité de nourriture. Sans doute pas là où l'on s'attendrait la retrouver : j'ai même perdu du poids au cours de ce séjour. Je finis par me demander si je n'ai pas rêvé ce festin effroyable au gré des bancs et des échoppes. Si c'est le cas, je voudrais comprendre pourquoi cet appel qui semblait ne jamais devoir s'éteindre, a soudain disparu au milieu d'une autre ballade, que je situe mal dans le temps mais qui devait probablement avoir eu lieu quelques jours plus tard. Là encore, je ne crois pas que l'arrêt soit venu d'un signal rationnel de type "ton ventre est plein Jean-Kim, tu peux arrêter de bourrer ton estomac". Si cela avait été le cas, cette histoire ferait partie des indigestions, au rayon "abus en tout genre" du magasin de mes souvenirs. Si j'ignore tout des causes profondes qui ont cessé de pousser mes pas vers les créateurs de nourritures, je conserve en revanche un souvenir très net du moment où cela a pris fin. Quand je dis prendre fin, c'est sans doute un peu faible d'ailleurs. Je sortais d'un combini mon sachet plastique à la main et une impression de vacuité infinie a déferlée, venue d'on ne sait où. Je n'ai pas été jusqu'à lâcher mon sac pour courir, mais je suis resté interdit pendant quelques longues secondes avant de bifurquer à droite et de monter dans le premier train qui partait pour Amanohashidate (le pont de la voie lactée), au Nord du Kansai.

 

Quand j'ai décrit ce qui s'était passé ce jour là à mon retour, les gens se sont demandé pourquoi je leur parlais d'une expérience aussi triviale. Je le conçois assez bien, vu de Sirius, le récit ressemble à celui d'une fringale un peu plus longue que d'ordinaire qui s'achève dans la rue de la culpabilité. Encore un prétexte pour justifier d'une surcharge pondérale qui me caractérise depuis toujours. 

 

Et puis le temps faisant, j'ai fait, en le transposant bien sûr, le récit de cette expérience sous la forme d'une nouvelle. Dans cette nouvelle, une femme qui a la manie de tout collectionner en double se prend d'affection pour un jeune pigiste à qui elle narre sa pathologie disparue : sans qu'elle en sache l'origine, cette femme a toujours eu besoin d'accumuler les objets en double. Jusqu'au jour où, dans un train glacé des régions septentrionale du Japon, ses mains de kleptomane (bien que les symptômes soient formels, il ne s'agit pas de kleptomanie au sens clinique du terme) se sont emparé d'un objet sans valeur aucune. Et la voici avec une pièce détachée du train où elle voyage. Avec un objet dont l'unicité et l'originalité ne font aucun doute mais qui ne peuvent déboucher sur aucun rapt d'objet similaire. Quand on accompli un crime, que ce soit vis à vis de soi ou des autres, on le sait, faute de quoi, c'est de la folie pure. Et la narratrice de soupirer d'un air triste : au moment même où ses mains on saisi l'objet, le besoin d'une gémellité absolue et pour toute chose s'est évanoui. Impossible de mettre des mots sur ce qui suit. Il reste que cette femme a besoin, au terme du récit, d'entendre la voix d'un autre, non pas émettre un jugement, mais prendre le relais de l'histoire : cette femme...au bout de cette histoire, est-elle heureuse ? Le pigiste referme son calepin de notes et prend congé. La réponse qu'il peut simplement formuler : "je ne sais pas, je n'ai pas encore écrit la fin". 

 

J'assiste avec un émerveillement non feint, à la genèse des idées farfelues. Je sais qu'elles sont pour la plupart absurdes ou improductives mais combien nombreuses sont aussi celles qui ont fini par rejoindre d'autres récits, d'autres anecdotes, d'autres voix entendues et qui, par coalescence et percolation, on fini par hanter les nappes souterraines de mon univers imaginaire.

 

Les fleurs de cerisiers explosent depuis quelques jours. L'éternel cycle du renouveau. Très franchement, je m'en moque un peu. Je préfère de très loin l'incendie des feuilles d'érables quand vient l'automne dans l'Archipel...

 

Pourtant, je guette. Je guette le moment où les idées plantées depuis cet automne mouvementée et plein de promesses, se mettront à germer sans que je puisse en saisir la totalité. J'attends de voir sourdre et jaillir le faisceau des images qui me procurent ces migraines estivales tant attendues. Je suis impatient. L'inspiration revient d'Afrique en un long vol.

 

Je n'en ai pas fini avec le printemps.... 

  

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