Les idées, c'est comme les conserves : ça se périme.

Publié le par El Kim des Plateaux


 

 

 

Je vais sans doute perdre mon emploi. Parce qu'un petit tsunami facétieux a secoué les certitudes où nous étions assises et que l'hémorragie de français dans l'Archipel se solde par une perte d'élèves tellement colossale que je suis devenu surnuméraire. Une fois encore, je ne sais de quoi seront fait les six prochains mois. La pluie continue de tomber sur Kyoto. Une averse qui n'en finit pas et se mêle de mauvais rêves. Mais rêver, c'est déjà quelque chose. 

 

Mes rêves, depuis quelques années, sont devenus ceux que je voient défiler dans mon petit paysage intérieur. Une boule souvenir où il n'y a pas de neige qui tombe quand on la retourne mais qui fait un drôle de bruit quand on colle son oreille contre. 

Et au milieu de cette après midi où je m'affaire pour remettre en branle la lourde machine que représente la rédaction d'un roman en projet, je viens m'accorder une pause souvenir. Quelques bribes de réflexions que j'avais noté dans des carnets au detour de page, sans savoir ce que je pourrai en faire, ni ce qu'il convenait de marquer d'autre que "idées de dialogues"/idée situation". Et pour d'autres, il s'agit de visions soudaines, des idées qui sont venue d'une observation de plusieurs heures sur un coin de banc dans la rue ou au milieu d'un centre commercial. Des brouillons qui avaient de la cohérence tandis que je travaillais à mon premier projet et que j'ai eu la sottise de négliger trop longtemps au point qu'aujourd'hui, ils ne trouvent plus place nulle part dans mes rédactions en cours. Un numéro seulement et souvent, à peine une ou deux instructions en marges pour que l'extrait demeure identifiable... Mais peine perdu. Ce soir, pot pourri. Avant de jeter ces brouillons devenus inutiles, je les balances à la poubelle de mon blog où, avec un peu de chance, ils feront sourire ou lever les yeux aux ciel les quelques lecteurs qui traînent leur guêtres sur cette adresse.  

 

[Mongolie intérieure. Chapitre 13. Brouillon #19.]

"Aujourd'hui, j'ai vu une jeune femme dont la façon de rire était splendide, humaine, toute en retenue, naturel. J'ai du mal à décrire ce que j'ai vu. J'ai imaginé un instant aller la voir et lui dire "vous êtes très belles"... Mais après, quoi ? Et puis, il me vient à l'esprit quelque chose de singulier : d'où vient qu'un homme, séduisant une femme, ne pourrait pas d'emblée, lui aussi, exercer son droit de réserve ? Alors imaginez un peu la tête de la fille si ce genre de discussion avait lieu :

_ Garçon : Bonjour.

_ Fille : Bonjour.

_ Heu, vous allez sans doute trouver ça déplacé, mais je vous trouve très jolie. ON doit souvent vous le dire, mais je tenais à le faire aussi.

_ Merci.

_ Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser que votre façon de sourire, autant être honnête, c'est ce qui m'a frappé le plus chez vous, n'est pas forcément la marque de ce que vous soyiez charmante. Peut-être êtes vous en fait du type capricieuse ou dépensière. Derrière votre ravissant visage, la conversation est peut être ennuyeuse à mourir. Il se peut même que vous soyiez totalement stupide ou que vous ayiez un caractère de chien. Alors j'hésite, vous comprenez ? 

_ Je comprends.

_ Je suppose que la vie toute entière se construit sur des paris plus ou moins risqués - que l'on saluera a posteriori comme des entreprises audacieuses ou non - mais personnellement, je préfère le risque contrôlé...

_ Que faire alors ?

_ Hé bien je vous propose ceci : revenons à ce sourir que je trouve charmant chez vous et allons nous asseoir sur un banc. De là, vous me direz ce que vous pensez de cette façon cavalière et gauche que j'ai eu de venir à vous. Cela me permettra de me faire une idée et puis vous aussi, vous aurez tout le temps de me juger lentement. Si nous filons ensuite jusqu'à un hôtel pour coucher ensemble, tant mieux, sinon, nous n'aurons rien gagné, mais cette légère perte de temps nous aura épargné à chacun une erreur de jugement. Qu'en pensez-vous ?

_ Cela me paraît équitable, mais dans ce cas, pour le banc, prenons celui qui est ombragé là-bas : je ne supporte pas très bien le soleil. 

 

[Idée de nouvelle #56. @sea]

 Il y a des mauvaises nouvelles qui arrivent autrement que par la poste ou par la porte. Elles ne résonnent pas dans le téléphone. Elle n'ont pas le sourire compassé des pompes funêbres. Elles se vendent à vous. 

A cette époque, ma fille était devenue tellement pénible que l'idée de la vendre m'avais effleuré l'esprit. Par "vendre" je ne voulais pas dire "prostituer". Je ne suis pas de ces parents criminels qui monnaient les charmes de leur progéniture. Tout ce que je voulais, c'était la céder à quelqu'un dont la patience aurait été intact pour supporter les caprices continuelle d'une gamine de treize ans. Il aurait sans doute été plus simple d'envoyer Noriko pour un séjour prolongé chez mes parents mais  depuis le décès de mon père deux ans auparavant, ma mère était partie s'installer entre l'Autriche et le Tyrol suisse sans donner de nouvelles. Les parents de mon épouse étant eux-mêmes exténués d'avoir supporté Noriko au cours des dernières vacances, je ne voyait plus que le pensionnat ou la vente. Bien sûr, la vente présentait quelques inconvénients de taille : j'allais devoir obtenir me montrer très ferme auprès de l'acheteur . Et puis ma femme ne voyait pas cette idée d'un très bon oeil. 

_ Tu n'es pas sérieux, m'avait-elle dit. Qui pourrait bien payer pour s'encombrer d'une peste comme Noriko ? 

_ Je sais bien, avais-je rétorqué, mais mon frère dit toujours qu'il faut accorder sa chance au produit. 

_ Ton frère est un commercial qui ne connaît rien à la vie. 

Je devais bien reconnaître que ma femme avait raison une fois encore. Mais mon frère restait de bon conseil à mes yeux. Depuis que j'examinais les différentes manières de solder notre fille, une anecdotes qu'il m'avait raconter au retour d'un de ces voyages d'affaires m'obsédait. "Les Français ont une entreprise qui s'appelle "une pièce en plus" : tu loues un local plus ou moins grand pour y entreposer ce qui ne tient plus chez toi". Ca ne pouvait pas mieux tomber : notre fille débordait par tous les orifices de notre appartement tant elle se répandait en demandes et plaintes continuelles. Elle avait fini par imposer sa présence a tout l'espace sonore de notre logement et nos voisins commençaient à mal vivre les empiétements qu'elle amorçait sur le leur. 

_ Je ne sais pas trop, avait dit ma femme, cette entreprise dont tu parles, n'a pas d'antenne à Tokyo, n'est-ce pas ? 

_ Non c'est le problème. . Il y a bien la consigne automatique des gares : mais c'est un peu petit et d'imaginer le moyen de forcer Noriko à rentrer là-dedans me donne d'avance la migraine.   

Ma femme avait pris son air songeur. 

_ Il y a une arrivée d'eau dans le local que tu loues ? 

Il ne nous restait plus que la solution de la vente. 

 

Mais vendre son enfant n'était pas une chose qui pouvait se faire à la légère : il fallait d'abord lancer un appel d'offre. C'était d'ailleurs le principal problème que je ne parvenais pas à résoudre : vers qui fallait se tourner pour que mon  annonce bénéficie de la plus grande visibilité ? Sans y connaître grand chose, j'étais cependant certain qu'il devait exister des entreprises spécialisées dans la publicité de ce domaine. Voilà comment j'en était venu à me tourner vers Asea. 

[Idée de nouvelle #19. La porte des toilettes des femmes]
Shiho sortit des toilettes à cet instant. 

_ il passait quoi dans tes toilettes ? Demandais-je

_ Comment ça "mes toilettes" ?

_ Ben oui : dans les nôtres, c’était all along the watchtower de Hendrix.

_ Et alors ?

_ Ben quand tu es sortie, j’ai cru reconnaître du Jazz. 

_ Tu es bête. C’est quoi les questions que tu te poses ?

_ Hé bien d’abord, pourquoi est-ce qu’il y a deux portes ?

Shiho se redresse, comme surprise. Son air est celui de quelqu’un qui croit avoir compris mais refuse de croire que son intuition ait pu être la bonne.

_ Deux portes… ? Mais, comment ça « deux portes » ???

_ Tu sais bien, enfin, il y a toujours deux portes des toilettes : celle des hommes et celles des femmes.

_ Techniquement, il y en a même trois si tu comptes celle des handicapés.

_ Justement, pour moi c’est une de trop : il n’y a besoin que de deux. Pour les handicapés, c’est normal qu’ils aient un dispositif qui leur permettent de faire leur besoins parce que leur handicap les gêne. Mais pour les femmes et les hommes, c’est le mêmes besoins, non ? Alors Comment justifier la séparation de lieu ?

_ Tu… tu plaisantes là ?

_ Pas du tout.

_ Mais ta question est stupide : c’est évident ! Si c'est pas une question de culture, demande-toi à quoi tient la dignité d'une personne et puis cet éternel féminin qu'on nous bazarde à la gueule dès qu'on est gamine !! Tu t'imagines que c'est simple de faire croire à la gente masculine qu'on est parfaites ?  

_ Alors là, objection : les femmes sont plus atroces que nous dans les rapports au corps. J’ai vécu deux mois avec une amie qui m’hébergeait et sa colocataire et crois moi il n’a pas fallu plus de de 2 semaines pour que je doive renoncer à l’éternel féminin. Quand je m’en suis offusqué, je tu sais ce que la colocataire de cette amie m’a retorqué ??? « Si les hommes avaient l’obligation de subir une visite guidée de de leur anatomie intime tous les deux ou trois mois, ils seraient probablement moins complexé vis à vis de la sexualité. C’est un peu fort, non ? »

_ Ecoute, je retire ce que j’ai dit. Admettons que ta question soint mois superficielle et perverse qu’elle n’y paraisse au premier abord. C’est vrai qu’il y a quelque chose d’arbitraire et de plus très actuel dans ce choix de commodités séparées. Mais ça reste quelque chose de naturel. De la même façon qu’on n’envisagerait pas de faire un bain mixte. Tu comprends, le problème de l’intimité, c’est pas seulement un problème de coexistence visuelle : c’est aussi la question de la présence. Quand tu fermes les yeux et que tu places un doigt entre tes deux yeux sans toucher ta peau, tu vas sentir un picotement. Tu pourras toujours dire que ce sont les poils qui détectent la chose mais même a une certaine distance, ton corps et ton esprit sentent qu’il y a quelque chose qui dérange. Hé bien là, c’est pareil. Imagine toi que tu es une femme sur ton siège de toilette et que tu entends la porte s’ouvrir. Tu ne peux pas savoir si c’est un homme ou une femme. C’est pénible.

_ Quand je suis allé faire de la randonnée en montagne, les refuges ont des dortoirs mixtes.

_ Oui mais là c’est particulier : les gens n’ont pas besoin de faire attention dans les situations extrêmes parce qu’ils sont justement absorbés par quelques chose d’autre. Mais les toilettes, c’est précisément l’endroit du monde où tu es le plus seul avec tes angoisses quotidiennes et personnelles. Plus nu, tu ne peux pas. C’est là où tu peux sentir toute la vanité de nos entreprises face à un cycle organique qui finalement nous ravale en tube digestif...

Un silence passe avant que Shiho ne reprenne, songeuse : 

_ Tu sais, maintenant que j’y pense, je connais des bars et des restaurant où cette entrée n’est pas dédoublée : il y a des toilettes mixte dans pas mal d’endroits quand on y réfléchit.

_ Je sais, dis-je, moi aussi j'ai déjà vu ça. J'y suis entré et j'y suis resté exprès un moment pour réfléchir. Mais au fond, je ne suis pas tout a fait satisfait : j’ai eu l’impression d’entrer dans des toilettes d’hommes toute simples.

_ Tu sais c’est pareil du côté des femmes. Les toilettes sont toujours simples. Ce sont les gens qui y entrent pour faire leur besoin qui sont compliqués. 

_ Oui, mais alors explique-moi une chose : pourquoi est-ce que les hommes phantasment TOUS secrètement d’entrer dans les toilettes des femmes ou une peur bleue de s’y faire attraper alors que jamais une femme ne fantasmera sur le fait d’aller du côté des hommes ?

_ Ben, il faut être un peu tordu pour rêver de voir ou fréquenter les parties intimes de l’autre sexe quand il est en train de chier non ?

_ Tu es infâme.

_ C’est toi et tes questions stupides qui me poussent à l’être.

 

 

 

 

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